Désireux de créer une saison musicale d’été à Monaco, le prince Rainier III ouvre les portes de sa demeure en 1959 et invite l’Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo à y dérouler des cycles estivaux de concerts avec le concours d’artistes solistes les plus réputés de la scène internationale. Ainsi sont nés les fameux Concerts en plein air du Palais princier de Monaco, relayés par la radiodiffusion et la télévision en eurovision. Les portes de la Cour d’honneur ne s’ouvraient alors que pour de rares occasions, comme par exemple en 1950 pour les festivités de l’heureux avènement du prince Rainier III sur le trône des Grimaldi. Mais mis à part quelques dates où la Cour d’honneur du Palais princier avait servi de cadre prestigieux aux brillantes commémorations, jamais la noble demeure des souverains n’avait été ouverte au public. Par là, le prince Rainier III renouait indéniablement avec la tradition ancestrale des Grimaldi, protecteurs des arts et de la musique. Suivant la même dynamique, le prince Albert II perpétue aujourd’hui cette tradition et continue d’accueillir dans la Cour d’honneur du Palais princier, aux mois de juillet et d’août, les concerts donnés par l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, entouré de chefs d’orchestre prestigieux et des plus grands solistes actuels. L’année 1966, date du centenaire de la création de Monte-Carlo, est une autre étape importante pour les arts et la culture dans la principauté. En hommage à la mémoire de son père, le prince Pierre, grand protecteur des arts et des lettres, le prince Rainier III crée la Fondation Prince Pierre de Monaco, dont l’objet est de favoriser, par l’attribution de prix, la culture et le progrès des lettres et des arts, et en particulier la création contemporaine. Depuis 1988, la princesse de Hanovre préside la Fondation et ses Conseils littéraire et artistique. Toujours en 1966, le prince Rainier III crée la direction des Affaires culturelles, un service gouvernemental au rôle effectif d’“antenne culturelle”, dont la mission consiste à coordonner et à encourager toute l’activité culturelle de la principauté. Enfin, prend place sur le calendrier des grandes manifestations artistiques internationales de 1966 le tout nouveau Festival international de ballets de Monte-Carlo. Cette prestigieuse manifestation, impulsée par la princesse Grace, se déroule chaque année dans un décor et sur une scène éphémères, réalisés pour l’occasion sur la place du Palais princier, depuis la muraille d’enceinte du Palais même. La création en 1970 du Festival international des arts de Monte-Carlo, sous le haut patronage du prince Rainier III et de la princesse Grace, et sous la présidence effective de la princesse Grace, constitue en fait la réunion des Concerts du Palais princier et du Festival international de ballets. Un communiqué de presse du 15 décembre 1969 annonce cette nouvelle manifestation comme étant tout à la fois “la consécration et le prolongement de ces manifestations musicales et chorégraphiques, auxquelles s’ajouteront des représentations théâtrales données par la Comédie-Française”. Durant quatorze saisons, le Festival international des arts de Monte-Carlo va rayonner, d’abord en été pour les neuf premières éditions (1970-1978), puis en hiver pour les cinq dernières (1978-1983).
Corinne Schneider.
EXTRAIT DU LIVRE ANNIVERSAIRE « 30 ans de festival »
La première édition du Festival international des arts se déroule au cœur de l’été monégasque, du 1er juin au 6 août 1970. La volonté du prince Rainier III et de la princesse Grace est d’une part de varier la nature des spectacles au sein d’un même festival, puis d’une édition à l’autre ; et d’autre part de satisfaire le public de standing (local, régional ou touristique) présent pendant la manifestation ou qu’il conviendrait d’attirer. Pour cela, le cabinet choisit de retenir la formule publicitaire “Les grands interprètes de nos jours”, la programmation des spectacles devant donner la priorité aux artistes les plus prestigieux et de renommée internationale. Le premier Festival international des arts prend place dans trois lieux prestigieux : la salle Garnier, la Cour du Palais princier pour les concerts de l’Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo et la place du Palais princier. C’est l’architecte-décorateur Paul Médecin qui conçoit et aménage sur la place du Palais, pendant les deux mois nécessaires au chantier, le théâtre éphémère en plein air destiné aux représentations chorégraphiques et théâtrales. Cette installation correspond aux manifestations de haut standing, tant du point de vue technique que de l’aménagement. Le lieu et le cadre uniques de ce théâtre ne peuvent qu’augmenter la portée de l’intérêt et de la valeur du Festival auprès du public, l’affluence journalière de touristes sur la place du Palais devant également contribuer à la publicité de l’événement. La salle peut alors accueillir 1 104 spectateurs (674 au parterre et 430 en tribune) ; la scène (à 1,20 mètre du sol, aux dimensions de 20 mètres de largeur sur 10 mètres de profondeur) permet de recevoir jusqu’à soixante-dix interprètes et des spectacles à grande mise en scène. Un fond de scène en pierres architecturées donne l’occasion d’un éclairage varié et d’une bonne acoustique. L’installation est complétée par 264 mètres carrés de dépendances permettant de monter des loges pour quatre-vingt-dix personnes,et d’entreposer le matériel des différentes troupes de ballet et de théâtre. Dès la première édition du Festival, le prince Rainier III estime que les frais pour la construction de ce théâtre exceptionnel sont trop importants ; il décide de rapatrier les manifestations chorégraphiques et théâtrales à la salle Garnier pour la deuxième édition du Festival. L’été 1970 propose en exclusivité un concert de l’Orchestre de Philadelphie sous la direction d’Eugene Ormandy dans un programme Beethoven (salle Garnier) ; trois représentations chorégraphiques de la troupe des Jeunes Solistes du Bolchoï dans un répertoire romantique (Le Lac des cygnes et Casse-Noisette de Tchaïkovski) ; quatre soirées données par le Ballet de Stuttgart de John Cranko ; deux représentations d’Amphitryon de Molière par la Comédie-Française ; et six soirées en compagnie de l’Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo alors dirigé par Igor Markevitch, avec comme invités Odon Alonso, Teresa Berganza, Emil Gilels, Anna Moffo, Paul Paray, Nino Sanzogno, Mstislav Rostropovitch et son épouse Galina Vishnevskaya. Un concert de musique de chambre clôture les festivités salle Garnier en compagnie des New York Chamber Soloists. Les soirées du jeune ballet moscovite sont les plus fréquentées et le public se précipite également à la première représentation monégasque et française d’Eugène Onéguine (1965) de John Cranko, un ballet en trois actes adapté du roman de Pouchkine, avec différentes œuvres de Tchaïkovski arrangées par Kurt-Heinz Stolze. Dédié à Marcia Haydée, première danseuse étoile de la compagnie, alors considérée comme l’une des plus grandes danseuses du temps, ce spectacle avait ouvert sa première saison à New York au Metropolitan Opera en 1969. Les trois autres soirées du Ballet de Stuttgart présentent les toutes dernières chorégraphies de John Cranko sur un répertoire musical plus moderne (Webern, Debussy, Stravinski). L’événement de cette première édition reste la création du Concerto pour violoncelle de Nicolas Nabokov par Rostropovitch, sous la direction d’Igor Markevitch. Créé sous sa forme concertante, ce “Prélude, quatre variations et finale, sur un thème de Tchaïkovski”, sera durant la saison 1970-1971 la musique d’un nouveau ballet chorégraphié par George Balanchine pour la New York City Ballet Company. Cousin de l’écrivain Vladimir Nabokov, Nicolas Nabokov (1903-1978), qui avait composé sa première œuvre importante (Ode, ballet-oratorio) à Paris en 1928 pour les Ballets russes de Monte-Carlo de Diaghilev, renouait ainsi ses liens avec la principauté. Si l’ensemble de la manifestation est à ses débuts supervisé personnellement par le prince Rainier III, un Comité d’organisation du Festival international des arts se constitue rapidement en 1972 et prend ses fonctions à l’automne. Il se réunit au Palais princier sous la présidence de la princesse Grace. Directeur des Affaires culturelles depuis la création de ce service en 1966, Antoine Battaini devient le secrétaire général de ce Comité et obtient désormais la charge d’organiser le Festival ; passionné de musique et fin connaisseur en cet art, Antoine Battaini assume le rôle de programmateur durant quatorze saisons. Pendant les neuf premières éditions du Festival, les portes de la salle Garnier s’ouvrent généralement aux premiers jours du mois de juillet pour se refermer aux derniers jours du mois d’août. Le Festival se déroule en deux temps, laissant d’abord la place à un ou deux ballets invités, avant de poursuivre avec les six ou sept concerts de l’Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo dans la Cour d’honneur du Palais princier. Le programme des festivités accueille en outre un concert de musique de chambre, un spectacle varié (show, marionnettes…), un orchestre invité (jusqu’en 1972), une pièce de théâtre (jusqu’en 1974) et un grand récital (à partir de 1972). Il est arrivé occasionnellement que certaines de ces manifestations occupent la salle des Etoiles et le cinéma Gaumont. L’Orchestre de Philadelphie (1970) mis à part, seuls le Royal Philharmonic Orchestra de Londres (1972) et le Pittsburgh Youth Symphony Orchestra (1972) sont invités au Festival international des arts puisque les concerts symphoniques sont exécutés par l’Orchestre national de Monte-Carlo, dirigé par Igor Markevitch jusqu’en 1972, puis par Lovro von Matačić de 1973 à 1979. Les deux directeurs artistiques assurent généralement les soirées d’ouverture et de clôture du Festival, et confient leur baguette pour les autres concerts à de prestigieux chefs invités. Le plus fidèle d’entre eux reste Paul Paray (1970, 1972, 1975, 1977), alors doyen des grands chefs français de l’époque ; il avait jadis été le directeur artistique de l’orchestre monégasque et résidait dans la principauté. Les autres chefs invités sont Iouri Aronovitch (1974, 1976, 1978), Odon Alonso (1970), Serge Baudo (1976), Willi Boskovsky (1975), Mihai Brediceanu (1972, 1974), Maxime Chostakovitch (1977), Oskar Danon (1977), János Ferencsik (1973), Jean Fournet (1976), Massimo Freccia (1974), Gianandrea Gavazzeni (1973, 1977), Carlo Maria Giulini (1972), Aram Khatchatourian (1974), Rafael Kubelík (1978), Peter Maag (1975), Lorin Maazel (1973), Zdeněk Mácal (1977), Gianfranco Masini (1978), Zubin Mehta (1973), Yehudi Menuhin (1972, 1975), Georges Prêtre (1973, 1974, 1978), John Pritchard (1975, 1978), Nino Sanzogno (1970), Georges Sébastian (1973) et Stanisław Skrowaczewski (1972, 1976). Se joignent à l’orchestre monégasque des artistes solistes de grande renommée. Parmi eux, les pianistes sont les plus nombreux : Claudio Arrau (1977), Vladimir Ashkenazy (1973), Robert Casadesus (1972), Aldo Ciccolini (1973, 1977), Philippe Entremont (1977), Annie Fischer (1978), Bruno Leonardo Gelber (1974), Emil Gilels (1970), Byron Janis (1974, 1978), Wilhelm Kempff (1973, 1977), Walter Klien (1977), Nikita Magaloff (1972, 1976), Witold Małcużyński (1974), Franco Mannino (1976), Arturo Benedetti Michelangeli (1973), Bruno Rigutto (1976), Gabriel Tacchino (1975), Tamás Vásáry (1978) et Alexis Weissenberg (1973). Le Festival accueille également les plus grandes voix du moment : Martina Arroyo (1977), Teresa Berganza (1970), Montserrat Caballé (1978), Birgit Nilsson (1974), Jeannette Pilou (1975), Teresa Stich-Randall (1973, 1975) et Galina Vishnevskaya (1970). Outre le violoncelliste Mstislav Rostropovitch (1970, 1974, 1976) et le violoniste Nathan Milstein (1972, 1974, 1976, 1978), que le public monégasque peut régulièrement applaudir, d’autres violonistes ont également brillé dans la Cour d’honneur du Palais princier, tels Christian Ferras (1976), Zino Francescatti (1977), Leonid Kogan (1978), Yehudi Menuhin (1972, 1978), Henryk Szeryng (1972) et Viktor Tretiakov. À partir de la troisième saison, le Comité d’organisation du Festival décide d’introduire de grands récitals à la salle Garnier. La première invitée est la cantatrice américaine Teresa Stich-Randall (1972). Suivront le violoncelliste Pierre Fournier (1974), le pianiste Arthur Rubinstein (1975), les sopranos Elisabeth Schwarzkopf (1975) et Régine Crespin (1976), les pianistes Alexis Weissenberg (1976, 1978) et Daniel Barenboïm (1977). Le public du Festival doit à Antoine Battaini d’avoir été initié à la musique baroque grâce aux venues sur le Rocher du célèbre ensemble de musique de chambre romain fondé en 1951, I Musici (1975), et de l’ensemble I Solisti Veneti (1976, 1978), formé à Padoue en 1959 par Claudio Scimone. La programmation chorégraphique est supervisée par la princesse Grace qui tient à présenter au public monégasque les plus grandes compagnies de ballet internationales. Après les Jeunes Solistes du Bolchoï (1970) et le Ballet de Stuttgart de John Cranko (1970) se succèdent sur les planches de la salle Garnier : le London Festival Ballet (1971, 1976), le Nederlands Dans Theater (1971), le Royal Ballet de Londres (1972), le Ballet national du Canada (1972), les Ballets de Marseille avec Roland Petit (1973, 1974), le Ballet national d’Espagne avec Antonio Gadès (1975), le Nikolais Dance Theatre (1975), le Ballet Félix-Blaska (1976), le Ballet national folklorique du Japon (1977), le Ballet de l’Opéra de Budapest (1978), le Ballet-Théâtre Joseph-Russillo (1978), ainsi que le tout nouveau Ballet de l’Opéra de Monte-Carlo, sous la direction de Marika Besobrasova (1974, 1977). Outre la danse et les musiques classiques vocales, instrumentales et orchestrales, le Festival international des arts offre également au public monégasque des spectacles très variés. Plusieurs pièces de théâtre sont représentées par la troupe de la Comédie-Française (1970, 1971), par la Compagnie Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault (1972) et par le Tréteau de Paris (1974), comme Le roi se meurt d’Eugène Ionesco, avec Olivier Hussenot. En 1973, on donne Turcaret, une comédie d’Alain-René Lesage, avec Micheline Presle et Gérard Lartigau, ainsi que Si Sacha nous était conté, une pièce écrite par Alain Decaux et Jean Piat, avec le concours de Geneviève Casile et Jacques Toja. La salle Garnier accueille un show de Jerry Lewis (1972), le Théâtre de pantomime de Wrocław (1972), une soirée (avec souper) en compagnie de Danny Kaye dirigeant l’Orchestre national de Monte-Carlo ; une comédie musicale par la troupe de l’Institute for Advanced Studies in the Theatre Arts de New York (1973), ou encore Franz Liszt, le chevalier et l’idéal (1974), une pièce en deux actes de Bernard Gavoty. Si après 1974 le théâtre est abandonné, le cinéma fait son apparition au Festival en 1975 avec la projection, en grande première sur la Côte d’Azur, du film anglais Paper Tiger réalisé par Ken Annakin, avec David Niven, Toshiro Mifune et Hardy Krüger. Proche de la princesse Grace, l’acteur anglais David Niven, qui possédait une villa au cap Ferrat depuis 1960, obtient un accueil des plus chaleureux des festivaliers lors de cette grande première cinématographique. Citons enfin les représentations en 1975 de Schéhérazade, un spectacle de Robert Hossein avec une musique de son père, André Hossein – celle qu’il avait composée en 1963 pour le film du même nom avec Anna Karina. En matière de répertoire, le Festival international des arts visite essentiellement les patrimoines classique et moderne. Mais l’une des caractéristiques de sa programmation, et ce dès la première édition avec le Concerto pour violoncelle de Nabokov, est l’intérêt prononcé pour la création. En 1973, pour la quatrième saison, le Festival s’ouvre encore par une création, celle de La Reine morte (trois représentations), le huitième et dernier opéra du compositeur italien Renzo Rossellini (1908-1982). Également auteur de plus de quatre-vingt-dix musiques de films dont la plupart furent réalisés par son frère Roberto Rossellini (Allemagne année zéro en 1948 ou Les Évadés de la nuit en 1960), Renzo Rossellini venait d’être nommé en 1972 directeur artistique de l’Opéra de Monte-Carlo. Inspiré de l’œuvre de Montherlant qu’il suit fidèlement, l’opéra rend un hommage à l’écrivain disparu un an plus tôt. La mise en scène de Margherita Wallmann, les décors et costumes de Pierre Simonini et la direction musicale de Wilhelm Wodnansky remportent tous les suffrages, de même que l’interprétation vocale de Nicola Rossi-Lemeni, Jeannette Pilou, Hélia T’Hézan et Lajos Kozma. À l’ouverture de la septième édition du Festival en 1976, c’est la création de L’Éventail (cinq représentations), un ballet chorégraphié par Ronald Hynd pour le London Festival Ballet, qui fait salle comble. L’année la plus fastueuse en matière de création est la cinquième édition du Festival, en 1974, date du vingt-cinquième anniversaire du règne du prince Rainier III. À l’occasion de cette célébration, on présente trois créations mondiales : Le Rêve de Jacob de Krzysztof Penderecki sous la direction de Stanisław Skrowaczweski, une pièce d’orchestre d’une dizaine de minutes intégrant neuf ocarinas, un langage d’une grande modernité composé de micro-intervalles et de nombreux effets orchestraux comme les glissandi ; le Concerto-Rhapsodie en ré mineur pour violoncelle et orchestre composé par Aram Khatchatourian à l’intention de Mstislav Rostropovitch, et dirigé par le compositeur ; Proust ou les Intermittences du cœur (trois représentations), un ballet en deux actes de Roland Petit d’après l’œuvre de Proust, chorégraphié pour les Ballets de Marseille qu’il venait de fonder en 1972 et qu’il dirigera pendant vingt-six ans. Ce ballet reste l’un des grands succès de Roland Petit ; il est très vite repris à l’Opéra de Paris, à la Scala de Milan, puis à New York. La neuvième et dernière édition d’été du Festival international des arts est exceptionnellement longue et s’étend jusqu’à la mi-septembre. Elle avait débuté par le Ballet de l’Opéra de Budapest pour quatre représentations comprenant notamment L’Oiseau de feu de Stravinski, dans la chorégraphie de Maurice Béjart. La soirée lyrique exceptionnelle donnée par Montserrat Caballé le 30 juillet, avec l’Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo sous la direction de Gianfranco Masini, constituait la clé de voûte de cette ultime édition qui s’achevait avec l’ensemble baroque I Solisti Veneti de Claudio Scimone. Désormais, le Festival aura lieu l’hiver ; il change de saison et se déroulera du mois de décembre au mois d’avril, pour habiller une saison hivernale alors assez dépourvue de manifestations artistiques de qualité internationale, hormis les représentations de l’Opéra.
Corinne Schneider.
EXTRAIT DU LIVRE ANNIVERSAIRE « 30 ans de festival »
Le changement opéré à l’occasion de la dixième édition du Festival international des arts est radical ; débutant une semaine avant les fêtes de Noël et s’achevant une semaine après les fêtes de Pâques, il se transforme en une saison hivernale d’une durée de quatre mois. Aussi le nombre de manifestations augmente-t-il considérablement et chacune des cinq éditions d’hiver (1978-1979 à 1982-1983) compte-t-elle désormais plus d’une vingtaine de rendez-vous comprenant des représentations théâtrales (une ou deux pièces par saison), la découverte de deux ou trois ballets invités, un récital de piano, une soirée lyrique, un concert de musique de chambre et six concerts symphoniques de l’Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo. C’est le plus souvent à la salle Garnier – dont on fête le centenaire en 1979 – que le public festivalier se retrouve pour l’ensemble de ces manifestations. L’église Saint-Charles accueille exceptionnellement, en janvier 1979, une soirée consacrée aux six Concertos brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach par l’Ensemble orchestral de Paris sous la direction de Jean-Pierre Wallez. Deux nouveaux lieux monégasques sont également investis : le tout récent auditorium (salle de concerts de 1 100 places) du Centre de congrès et l’ancien théâtre des Beaux-Arts, entièrement rénové et rebaptisé “théâtre Princesse-Grace” (400 places). Inauguré le 3 février 1979 par le prince Rainier III et la princesse Grace, le Centre de congrès est l’une des dernières réalisations architecturales de Jean Ginsberg ; il accueille pour la première fois le Festival le 10 février de la même année, avec un concert de l’Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo sous la direction de Lovro von Matačić, avec Georges Cziffra dans le Concerto pour piano d’Edvard Grieg. L’installation du Festival au Centre de congrès s’intensifie au cours des quatre éditions suivantes pour aboutir à six concerts en 1982-1983. C’est la princesse Grace qui conçoit entièrement la décoration de la salle de l’ancien théâtre des Beaux-Arts, et qui inaugure le nouveau théâtre désormais attaché à son nom, le 17 décembre 1981 ; ce soir-là les projecteurs se rallument pour Edwige Feuillère, Valentina Cortese et Dirk Bogarde. Le premier spectacle du Festival à y prendre place en février 1982 est un petit opéra, Damira Placata de Marc’Antonio Ziani (1653-1715), représenté par l’ensemble Ars antiqua de Milan et le Théâtre de marionnettes anciennes de Turin. Pendant les saisons suivantes, le théâtre Princesse-Grace accueille surtout les soirées dédiées à la musique de chambre. Les concerts symphoniques de l’Orchestre national de l’Opéra de Monte-Carlo restent les rendez-vous les plus prestigieux et les plus fréquentés du Festival. Avec la nomination de Lawrence Foster en 1980, l’orchestre change d’appellation et opte désormais pour l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo. Le Festival accueille à sa tête Gert Bahner (1982), Paul Capolongo (1982), Christoph von Dohnányi (1982), Leopold Hager (1979), René Klopfenstein (1980), Lorin Maazel (1978), Karl Münchinger (1979), Hubert Soudant (1980, 1983) et Emil Tchakarov (1982). Parmi les plus grands solistes du moment invités à défendre les œuvres concertantes du répertoire, les pianistes sont toujours les plus nombreux : Daniel Barenboïm (1979, 1983), Erik Berchot (1982), Aldo Ciccolini (1982), Nelson Freire (1982), Horacio Gutiérrez (1983), Lili Kraus (1979), Radu Lupu (1980, 1982), Gabriel Tacchino (1981), Alexis Weissenberg (1978) et le fidèle Georges Cziffra (1979, 1980, 1982). Les violonistes Ronald Patterson (1980), Vladimir Spivakov (1982) et Henryk Szeryng (1980) se rendent aussi au Festival, ainsi que le violoncelliste Pierre Fournier (1979). Chaque saison est également émaillée d’une ou plusieurs soirées lyriques en compagnie des sopranos Hildegard Behrens (1979), Barbara Hendricks (1983), Marilyn Horne (1983), Jessie Norman (1982) et Rita Streich (1980) ; de la basse Frido Meyer-Wolff (1982) et du ténor Jon Vickers (1983). En décembre 1982, l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, placé sous la direction de Gert Bahner, accompagne la venue dans la principauté des solistes et des chœurs de l’Opéra de Leipzig pour deux représentations exceptionnelles de Così fan tutte de Mozart. Grâce à la diversification des lieux de son implantation dans la principauté, ainsi qu’à son étalement dans le temps, le Festival international des arts accueille désormais davantage de grandes formations musicales internationales. Citons l’Ensemble orchestral de Paris sous la direction de Jean-Pierre Wallez (1979) ; l’Octuor de l’Orchestre philharmonique de Berlin (1980) ; les Chœurs de l’armée rouge (1980) ; l’Orchestre de chambre de Pologne sous la direction de Jerzy Maksymiuk (1982) ; l’Orchestre du Mozarteum de Salzbourg sous la direction de Ralf Weikert (1982) ; l’Academy of St Martin in the Fields sous la direction d’Iona Brown (1983) ; et l’orchestre Johann-Strauss de Vienne sous la direction d’Alfred Eschwé (1983). La danse est plus que jamais à l’honneur, et la programmation du Festival s’attache à suivre les compagnies internationales dans leurs spectacles les plus récents. La salle Garnier accueille le Ballet de Stuttgart (1978-1979), le Ballet de Tokyo (1979), le Ballet du xxe siècle – Maurice Béjart (1979-1980), le Nederlands Dans Theater (1980) ; le Ballet de l’Opéra de Bâle (1980) ; le Sadler’s Wells Royal Ballet de Londres (1981) ; le Ballet national de Marseille – Roland Petit (1982) ; les étoiles et le Ballet de l’Opéra de Paris (1982-1983), ainsi que le Ballet du Grand Théâtre de Genève (1983). Deux créations mondiales marquent les annales du Festival et obtiennent un retentissement international : Mephisto valse (26 décembre 1979) par le Ballet du xxe siècle – Maurice Béjart, sur une musique de Franz Liszt ; et Le Songe de Faust (10 avril 1982) qui portera finalement le titre de Contes d’Hoffmann (sur un livret établi par Roland Petit d’après Hoffmann, par le Ballet national de Marseille – Roland Petit). La nouvelle organisation du Festival permet de renouer avec le théâtre qui avait été négligé depuis 1974. Les spectacles choisis suivent de très près l’actualité parisienne en ce domaine, et notamment la programmation de la Comédie-Française. Le public monégasque peut ainsi applaudir L’Aiglon d’Edmond Rostand, avec notamment Jean Davy, Jean Martinelli et Roland Jouve (1978) ; Madame Sans-Gêne de Victorien Sardou, avec Micheline Dax, Jacques Ardouin et Roland Jouve (1979) ; Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, avec Roland Jouve, Régine Blaess et Jean Weber (1979) ; et Siegfried de Jean Giraudoux, avec Simone Valère et Jean Desailly (1982). En 1981, le public monégasque applaudit Elvire Popesco dans La Mamma d’André Roussin ; âgée de quatre-vingt-neuf ans, l’ex-sociétaire de la Comédie-Française avait décidé de faire ses adieux à la scène en entreprenant une tournée mondiale dans ce rôle qu’elle avait créé en 1957. À l’initiative de la princesse Grace, le Festival international des arts prend toute la dimension de son appellation lors de sa onzième édition, grâce à l’organisation des Rencontres internationales de poésie (International Poetry Forum), qui permettent de placer sur le devant de la scène monégasque les poètes contemporains américains et français. Cette manifestation est organisée avec le concours de l’université Duquesne et du Forum international de poésie de Pittsburgh, placé sous la direction de son fondateur, le professeur Samuel Hazo, qui avait invité la princesse Grace à une lecture publique en février 1978 alors qu’elle n’avait pas paru sur la scène américaine depuis 1952. La princesse Grace était retournée aux arts de la scène en 1976, au Festival international d’Édimbourg, en lisant les œuvres de poètes contemporains américains. Et c’est directement sous son impulsion que la poésie faisait son entrée au Festival international des arts de Monte-Carlo les 24 et 25 mai 1980 (salle Garnier). C’est sans aucun doute dans le domaine de l’opéra ancien que le Festival international des arts se montre le plus novateur, en tendant l’oreille du côté de la restauration des ouvrages lyriques baroques qui prend naissance au début des années 1980. Outre Damira Placata, l’opéra de Marc’Antonio Ziani présenté par des artistes italiens en 1982, le Festival accueille également Castor et Pollux de Jean-Philippe Rameau, dans la version de 1754 rendue par les solistes, l’orchestre baroque, les chœurs et le ballet de l’English Bach Festival, sous la direction de Roger Norrington (salle Garnier, 18 et 19 décembre 1981). Cette version venait d’être donnée sous la direction de Charles Farncombe à Covent Garden dans la mise en scène de Tom Hawkes, avec une scénographie de Terence Emery et une chorégraphie de Belinda Quirey. Peter Jeffes chantait Castor, Ian Caddy et Philippe Huttenlocher chantaient en alternance Pollux, Jennifer Smith était Télaïre et Karen Shelby, Phébé. C’est cette version qui sera donnée quelques semaines plus tard à Paris au théâtre des Champs-Élysées (7 janvier 1982) avant d’être gravée chez Érato (1982). Les mélomanes ne connaissaient alors que la version de 1737 de Castor et Pollux, enregistrée en 1972 par le Concentus Musikus Wien, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt qui venait de présenter à nouveau cette version à l’Opéra de Francfort (octobre 1980). Avec ces représentations de Castor et Pollux, le Festival international des arts de Monte-Carlo entre dans la merveilleuse aventure de redécouverte des œuvres baroques qui anime alors l’Europe musicienne et mélomane. Les quatorze saisons du Festival international des arts de Monte-Carlo ont harmonieusement mêlé les représentations théâtrales, chorégraphiques et musicales (symphoniques, lyriques et chambristes) tout en accordant quelques occurrences au cinéma, au music-hall, aux soirées littéraires et à la poésie. Deux idées directrices permettent de qualifier cette manifestation artistique d’ampleur internationale : le goût prononcé pour la diversité des expressions artistiques et le maintien d’une exigence de qualité en présentant au public les plus grands artistes du temps. Ces valeurs apparaissent aujourd’hui clairement à la lecture de la programmation, mais également dans les supports publicitaires diffusés à l’époque par la direction des Affaires culturelles ; elles transparaissent par exemple dans ce communiqué de presse du 7 décembre 1982 : “Cette formule adoptée par le Festival international des arts évite la spécialisation de certains festivals et permet d’offrir au public des spectacles d’une grande diversité. Chaque année sont représentés le théâtre et la danse, la musique vocale et l’opéra, la musique de chambre et la musique symphonique. De même, les œuvres choisies appartiennent à des époques, illustrent des styles aussi différents que le classicisme, le baroque ou la modernité. Mais le choix des œuvres comme celui des interprètes ne connaît d’autre critère que celui de la qualité.”
Corinne Schneider.
EXTRAIT DU LIVRE ANNIVERSAIRE « 30 ans de festival »
Si le transfert du Festival international des arts durant la période hivernale avait permis pendant quelques années de garnir de manifestations de prestige une saison monégasque alors peu riche en événements de ce type, sa durée étalée sur quatre mois n’était pas totalement satisfaisante. En effet, le Festival se diluait dans le temps, perdait le bénéfice du rassemblement du public et se retrouvait en quelque sorte transformé en une programmation de saison comme une autre. L’ouverture du théâtre Princesse-Grace en 1981 avait en outre considérablement transformé la configuration artistique monégasque en présentant, aux côtés de la programmation de l’Opéra de Monte-Carlo, une saison désormais bien fournie. Il fallait donc songer à une nouvelle formulation du Festival et c’est la princesse Grace en personne qui initia cette réflexion dès 1981. Quatre jours après l’ouverture de la treizième édition du Festival international des arts, le Comité d’organisation se réunit sous la présidence de la princesse Grace. Le compte rendu de cette séance particulière du 16 décembre 1981, dont Antoine Battaini assure le secrétariat général, est aujourd’hui conservé aux Archives du Palais. La princesse Grace ouvre la séance en rappelant aux membres du Comité combien elle regrette que le Festival dans sa formule hivernale ne réponde plus aux critères retenus pour la définition d’un véritable festival. Difficile en effet de donner le nom de festival à une série de manifestations aussi étalées dans le temps. Depuis 1978, la principauté s’était enrichie de nouveaux événements artistiques, dont la saison du théâtre Princesse-Grace, et le Comité du Festival éprouvait désormais les plus grandes difficultés à réserver des dates au sein des programmations très riches des différentes institutions (salle Garnier, Centre de congrès, etc.). En dehors des difficultés d’organisation qui s’étaient installées, on pouvait même craindre une certaine “saturation” d’événements, pour un public qui restait, en tout état de cause, assez peu nombreux. Ne risquait-on pas d’enregistrer une baisse progressive de la fréquentation du public à cause de cette dispersion du Festival au sein d’une saison d’hiver désormais très fournie ? Antoine Battaini expose alors au Comité d’organisation les grandes lignes d’une nouvelle formule qui devrait pouvoir être appliquée à partir de 1984. Il s’agirait de resserrer considérablement la durée du Festival qui se déroulerait désormais à Pâques. Les festivités pourraient commencer lors du week-end pascal par les représentations des ballets traditionnellement organisées à ce moment-là de l’année, et se terminer deux semaines plus tard. Le secrétaire général met alors en avant les nombreux avantages de cette nouvelle formule : le Festival ainsi concentré sur quinze jours retrouverait l’ambiance et l’émulation d’un véritable festival, présentant chaque jour une manifestation différente (théâtre, ballet, concert symphonique, récital…) toujours confiée à des artistes ou des ensembles de renommée internationale ; le Festival pourrait désormais attirer le public local et régional, beaucoup moins sollicité à cette époque de l’année, et surtout inciter les touristes à prolonger leur séjour à Monaco s’ils y sont venus pour Pâques, ou même les inciter à se rendre spécialement dans la principauté pour assister aux manifestations du Festival. Ce projet de refonte radicale est approuvé à l’unanimité et il est donc décidé, à l’issue de cette séance du 16 décembre 1981, que le Festival international des arts qui fut initialement estival, puis hivernal, sera désormais printanier : il aura lieu chaque année pendant quinze jours à partir du samedi de Pâques, et ce, dès 1984. S.A.S La Princesse Grace souhaite également accompagner cette nouvelle formule par un changement d’appellation, en prônant un titre plus percutant. On pense à “Festival de printemps”, “Avril à Monte-Carlo”, “Primavera de Monte-Carlo”… C’est bien après cette séance que l’appellation de “Printemps des arts de Monte-Carlo” sera entérinée, plaçant ainsi au premier plan les situations temporelle et géographique de la manifestation, associées à l’idée chère à S.A.S la Princesse Grace d’une pluridisciplinarité des expressions artistiques. Quant à la programmation générale et à l’orientation du nouveau Festival, la princesse Grace propose la concentration autour d’un thème qui serait amené à changer chaque année. On évoque “les années vingt”, “la Belle Époque”, “la Méditerranée”… Elle engage enfin la réflexion vers la poursuite de cette tradition qui a fait de Monte-Carlo, depuis le début du xxe siècle, un des hauts lieux de l’art chorégraphique. Aussi souhaite-t-elle que cette politique soit poursuivie et que la création d’un nouveau ballet puisse être inscrite au programme du Festival dès 1984, inaugurant ainsi d’une manière particulièrement brillante sa nouvelle formule et sa nouvelle appellation. Malheureusement, la princesse Grace n’aura pas la satisfaction de voir se réaliser son nouveau Festival. Elle s’éteint dans la nuit du 14 au 15 septembre 1982, après ce tragique accident de voiture survenu sur les hauteurs surplombant Monaco. Trois mois après ses funérailles, s’ouvre sans elle la quatorzième et dernière édition du Festival international des arts. Antoine Battaini, le maître d’œuvre de la manifestation depuis sa création, rend hommage à sa fondatrice dans une préface à la brochure-programme : “Des nombreuses initiatives prises par sas la princesse Grace pour accroître le rayonnement artistique de la principauté, la création du Festival international des arts de Monte-Carlo, pour lequel elle manifestait une prédilection particulière, demeure assurément la plus importante, la plus riche également de réussites et de promesses. S.A.S la Princesse Grace avait conçu le projet de regrouper l’hiver dans le cadre d’un Festival la plupart des manifestations artistiques de caractère international présentées à Monaco, formule qu’elle se proposait de modifier partiellement en 1984. Jamais S.A.S la Princesse Grace n’a cessé d’animer le Festival des arts dont elle assurait la présidence effective. Et ceux qui ont pu suivre son action admiraient la compétence et la vigilante attention avec lesquelles elle veillait personnellement à l’orientation générale des programmes, au choix des artistes et des ensembles invités, ainsi qu’à l’organisation matérielle et à la promotion de chaque spectacle. Sans cette marque personnelle que S.A.S la Princesse Grace avait su lui imprimer, le Festival des arts n’aurait sans doute pu obtenir l’audience internationale qu’il connaît aujourd’hui.” Sur ordonnance souveraine du 17 décembre 1982, la princesse Caroline est nommée présidente du Comité d’organisation du nouveau Printemps des arts de Monte-Carlo, lequel est toutefois toujours nommé Festival international des arts dans les documents administratifs et dans les couloirs du Palais princier, et ce, pendant plusieurs années encore. Nouvelle ambassadrice des arts et de la culture à Monaco, la princesse Caroline reprend la plupart des autres activités de sa mère, comme la présidence de la Fondation Princesse Grace, destinée à promouvoir l’artisanat dans la principauté. Un mois après l’achèvement de la dernière édition du Festival international des arts, le Comité d’organisation se réunit le 10 mai 1983 afin de préparer la première édition du Printemps des arts. Pour la première fois sous la présidence de la princesse Caroline de Monaco, le Comité se constitue de Michel Desmet (vice-président), Antoine Battaini (secrétaire général), Félix Dorato (trésorier), Louis Blanchi, René Croesi Lawrence Foster, Raymond Gérome, Guy Grinda, Tibor Katona, Nadia Lacoste et Jean-Pierre Rossillon. Un ultime hommage est adressé à la princesse Grace par Michel Desmet, conseiller du Gouvernement, qui transmet l’assurance du dévouement de chacun à la princesse Caroline. Dès la première séance de travail, la princesse Caroline insiste sur la continuité qu’il convient d’observer entre l’ancien Festival et sa nouvelle formulation en matière de diversité artistique, afin d’asseoir le Printemps des arts comme un festival non spécialisé. En ce sens, elle émet le souhait d’intégrer désormais le cinéma à part entière et de projeter des films culturels dans la principauté pendant la durée des festivités. Elle dessine en outre une nouvelle orientation en demandant au Comité de veiller à inviter désormais plusieurs jeunes lauréats des grands concours internationaux à se produire lors de concerts donnés en fin d’après-midi au théâtre Princesse-Grace. Elle désire ainsi que le Printemps des arts soit autant la réunion des plus grands artistes du temps que le lieu de découverte privilégié des étoiles de demain. La princesse Caroline recommande alors expressément le pianiste italien Andrea Lucchesini, en souhaitant que le Festival contribue à révéler ce jeune artiste promis à un très brillant avenir. Déjà titulaire de huit premiers prix internationaux dont celui du concours Dino-Ciani du théâtre de la Scala de Milan, Andrea Lucchesini – aujourd’hui reconnu notamment pour ses interprétations des Sonates de Ludwig van Beethoven et des œuvres de Luciano Berio – était alors âgé de dix-sept ans.
Une réflexion s’engage alors sur la modernisation de l’infrastructure du Festival, ainsi que sur le lancement et la promotion du nouveau Printemps des arts. L’idée consiste à donner un retentissement international à l’événement en menant diverses opérations aux États-Unis et dans les principaux pays d’Europe, par l’intermédiaire des bureaux de la direction du Tourisme et des Congrès. En ce sens, toutes les démarches nécessaires vont être entreprises pour permettre au Printemps des arts d’adhérer à l’Association européenne des festivals de musique, présidée par Denis de Rougemont. Le 9 novembre 1983 se déroule, dans le salon de la Paix à l’hôtel George-V, une conférence de presse destinée à lancer la première édition du Printemps des arts en présence de la princesse Caroline qui détaille elle-même la programmation du nouveau Festival à la presse parisienne : “Cette année la musique sera à l’honneur, déclare-t-elle, mais dans les années qui viennent nous élargirons davantage le « Printemps musical » aux autres formes d’expression scénique et plastique.” Le lancement de la première édition du Printemps des arts est relayé dans l’édition du 19 avril 1984 du quotidien Nice-Matin qui titre : “sas la princesse Caroline présente le Printemps des arts de Monte-Carlo : un festival de la diversité et de la qualité.” Par ces termes, la continuité avec les valeurs du Festival international des arts est assurée, comme en témoignent les déclarations de la princesse Caroline : “Notre ambition est que règne dans la principauté pendant près de trois semaines une véritable ambiance de festival, avec des activités artistiques très variées et une parfaite communication entre les artistes et le public. Nous avons effectivement choisi la pluridisciplinarité, ce qui ne veut pas dire que, chaque année, toutes les disciplines artistiques seront représentées. Mais nous essaierons de répondre à toutes les demandes, de satisfaire tous les goûts. En conservant comme bases la musique et la danse, nous envisageons par exemple de faire une large place au théâtre l’année prochaine. Une autre fois, ce pourra être le cinéma ou les arts plastiques.” Il appartenait donc à la princesse Caroline et au fidèle Antoine Battaini, assisté de René Croesi et de Tibor Katona , de mettre en œuvre cette nouvelle manifestation internationale qui ouvrait désormais la saison des grands festivals culturels méridionaux, du cinéma à Cannes à la musique de chambre à Menton, en passant par l’opéra à Aix-en-Provence et le théâtre à Avignon. À l’inverse de ces rencontres prestigieuses, le Printemps des arts monégasque n’entendait pas se spécialiser et se plaçait délibérément sous le signe de l’éclectisme et de la pluridisciplinarité, la notoriété internationale des artistes et l’originalité des spectacles – au sens de la rareté – étant les seuls critères retenus pour le choix des artistes ou des spectacles présentés. En 1984, la première édition du nouveau Festival ouvre ses portes à l’auditorium du Centre de congrès par un récital du baryton Ruggero Raimondi qui fait salle comble. Le prince Rainier III, la princesse Stéphanie, la princesse Caroline et son époux, assistent à cette soirée inaugurale, sans conteste la plus fréquentée du premier Printemps. Comme par le passé suivent les représentations de ballets pendant le week-end pascal. On applaudit le Nederlands Dans Theater déjà bien connu du public monégasque et, pour la première fois dans la principauté, le Grand Ballet classique de Moscou qui offre quatre soirées avec notamment Roméo et Juliette de Serge Prokofiev, dans la chorégraphie de Natalia Kasatkina et Vladimir Vassilev, les fondateurs et directeurs artistiques de cette troupe soviétique fondée en 1968. Ces représentations sont accompagnées par l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo sous la direction du chef d’orchestre de la compagnie soviétique, Alexis Vinogradov. Outre sa présence auprès du ballet soviétique, l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo ne donne qu’une seule autre soirée pendant le Festival, en présentant un programme français (Bizet, Ravel, Roussel, Debussy) sous la direction de Lawrence Foster, avec le pianiste Tamás Vásáry dans le Concerto en sol de Maurice Ravel. À dominante musicale, la programmation affiche les noms prestigieux des sopranos Ileana Cotrubaș et Mirella Freni, du pianiste Daniel Barenboïm, du violoniste Igor Oïstrakh, ainsi que de trois ensembles invités : le Festival Strings de Lucerne, le quatuor Tátrai et les Wiener Kammermusiker. Seul un spectacle de mime, confié à Kazimir Kolesnik et Adam Darius, constitue une intrusion dans les autres arts de la scène. Le Festival a perdu son épithète d’“international”, mais il le reste néanmoins avec la participation d’artistes de douze nations différentes – ne comprenant d’ailleurs aucun artiste français. Suivant le vœu de la princesse Caroline, trois jeunes solistes sont présentés au public : la violoniste Mihaela Martin (premier prix du concours d’Indianapolis en 1982), le ténor Jésus Li Cecilio (lauréat du concours du Belvédère de Vienne en 1983) et le pianiste Andrea Lucchesini (notamment grand vainqueur du concours de Trévise en 1981). Peu d’auditeurs se mobilisent pour ces récitals confiés aux jeunes talents, mais les musiciens professionnels de la Côte d’Azur s’y précipitent, ainsi que les critiques. Dans un article de bilan titré “Dix-sept manifestations de haut niveau en une quinzaine de jours. Festival des arts de Monte-Carlo : une réussite incontestable” (Nice-Matin, 9 mai 1984), Yves Hucher et André Peyrègne notent à propos des récitals des jeunes solistes : “Ce Printemps des arts a également vu les débuts à Monte-Carlo d’un pianiste de dix-neuf ans, Andrea Lucchesini, à la technique hallucinante mais surtout qui a fait, pour beaucoup, de la Sonate op. 109 de Beethoven, « le » grand moment de ce Printemps, un moment dont Karajan a déjà demandé à entendre l’enregistrement !” La nouvelle formule resserrée sur dix-huit jours (comprenant trois week-ends) et présentant dix-sept représentations a changé les habitudes du public monégasque qui répond présent dès la première année à l’installation de ce nouveau rythme. En outre, la radio (France-Musique) et différentes chaînes de télévision (fr3, rmc) ont capté huit concerts qui ont été diffusés en plusieurs fois pendant toute l’année ; un relais qui a sans aucun doute permis d’accroître la popularité de ce nouveau festival auprès d’un large public national et international.
Corinne Schneider.
EXTRAIT DU LIVRE ANNIVERSAIRE « 30 ans de festival »
En 1985, la deuxième édition du Festival est à nouveau annoncée par une conférence de presse parisienne en présence de la princesse Caroline, cette fois aux Champs-Élysées chez Ledoyen. Deux nouveaux domaines artistiques sont investis : le théâtre et le cinéma. L’OPMC donne trois soirées dont un concert consacré à Tchaîkovski avec Daniel Barenboïm. Suivent en 1986, le Deller Consort, Maria-Joao Pires, Piero Capuccilli, le Quatuor Talich… et Nathan Milstein (le légendaire violoniste âgé de 82 ans). En 1987, le Printemps applaudit Margaret Price, Alicia de Larrocha, et programme, sur plusieurs années, une série d’opéras baroques plus ou moins inédits. Ainsi découvre-t-on en 1987 les Chinoises de Glück, sous la direction de René Jacobs, le Peintre parisien de Cimarosa en 1988, Alceste de Glück en 1989, Flavio de Haendel en 1989, Mithridate, en l’« année Mozart » 1991, Montezuma de Vivaldi en 1992, Orfeo de Fernando Bertoni en 1993. Année après année, les affiches du Printemps des Arts demeurent prestigieuses : Yehudi Menuhin, Jean-Pierre Rampal, Marielle Nordmann, Renata Scotto, Montserrat Caballé, Nikita Magaloff, Lazar Berman, le Quatuor Julliard, Shirley Verret, Yo-Yo Ma, Mstislav Rostropovitch, Murray Perraia, Vladimir Ashkenazy, Anne-Solphie Mutter, Radu Lupu. Ce fut une suite de soirées étoilées ! Comment oublier celle où Katia Ricciarelli, au sommet de la gloire, nous porta sur les ailes de son chant ? Ou celle où Dietrich Fisher Diskau, maître respecté entre tous, sembla recevoir une inspiration divine ? Luciano Pavarotti se produisit en 1993, il logeait au Métropole tandis que… Michaël Jackson, venu pour un festival de télévision, était à l’Hôtel de Paris. Les fans de l’un et de l’autre rivalisaient de cris sous leurs fenêtres, avec une puissance vocale qui était inversement proportionnelle à celle de leur idole. Au Printemps des Arts, on assista aux débuts de solistes comme Vadim Repin ou Maxim Vengerov ou encore Cecilia Bartoli. Bouleversante découverte en 1989 du baryton Thomas Qasthoff, au corps meurtri et au talent inouï. Depuis, ce héros de la vie et de la scène, fait merveille sur les grandes scènes. Et l’on découvrit également en 1999, Ivo Pogorelitch le pianiste yougoslave à la fascinante personnalité qui avait fait démissionner Martha Argerich du jury du concours Chopin de Varsovie où il était candidat. Le Printemps des Arts ne se contenta pas d’inviter des solistes. Il accueillit aussi des orchestres : le Philharmonique de Los Angeles dirigé par Andre Previn en 1987, le Symphonique de Berlin dirigé par Riccardo Chailly en 1988, la Philharmonie tchèque dirigée par Vaclav Neumann en 1990, le Philharmonia de Londres dirigé par Lorin Maazel en 1997. À la série des opéras baroques succédèrent des créations d’opéras contemporains. Dorian Gray de Lowell Liebermann en 1996, d’après l’œuvre portant sur l’homosexualité d’Oscar Wilde (l’arrière petit-fils de l’écrivain était dans la salle), Saisons en enfer de Marius Constant en 1999, Cecilia de Charles Chaynes en l’an 2000. Certaines années, le théâtre trouva aussi sa place au « Printemps ». Et l’on applaudit Pierre Dux et Denise Gence dans Les Chaises de Ionesco (1989), Geneviève Casile en 1996, Laurent Terzieff en 1997, le duo Michel Bouquet-Claude Brasseur dans une poignante confrontation imaginaire entre le chef d’orchestre Fürtwangler et un chef S.S. en 2001. En 1989, à l’instigation de la galériste new-yorkaise Marisa del Re, les beaux-arts fûrent également invités au festival. En 1999, la Principauté fut envahie par les silhouettes rebondies des statues de Bottero. Rainier Rocchi, directeur de la Culture en Principauté, succède à Antoine Battaini en 2000, c’est alors une ouverture au modernisme. Le Philharmonique de Monte-Carlo sous la direction de Marek Janowski donna deux années de suite de mémorables concerts Messiaen ; il accompagna aussi la projection du film Napoléon d’Abel Gance. C’est en 2001 que l’avenir du nouveau Printemps des Arts allait être scellé par la venue de Marc Monnet, qui s’est fixé pour objectif de conquérir un nouveau public, notamment parmi les jeunes. Pour cela, il abolit les frontières entre les répertoires et les époques de la musique en proposant des « fils rouges » pour suivre la manifestation d’un bout à l’autre. En 2003, l’ouverture du Printemps se fit avec des musiciens de chasse à courre sur la place du Palais ; en 2004, avec une fanfare de rue ; en 2006, avec un sonneur de carillons. Le Printemps a pénétré des lieux inédits (Musée océanographique, Sportings d’été et d’hiver, Grand Cabaret), et s’est même invité chez les gens – avec les « concerts à domicile ». On initia également les « concerts surprises » dont le concept était simple : le public ne savait ni ce qu’il allait entendre ni comment il se rendrait sur les lieux de concert. En 2004 ce fut en car, entre Nice et Menton, en 2005 en train à vapeur jusqu’à Cannes. Notons également la venue historique de Pierre Boulez dirigeant l’Ensemble Intercontemporain au Sporting en 2006. Ces dernières années, le festival a invité Mauricio Kagel à présenter 2 pièces en 2007 ; François-Frédéric Guy a joué l’intégrale des sonates de Beethoven en 2008 ; les plus grands violoncellistes ont été réunis pour une nuit du violoncelle en 2009 et une nuit alternative au Parking des Pêcheurs s’est terminée par un défilé de mode mis en musique en 2010. L’année 2011, le festival s’est transformé en 4 week-ends et a accueilli les derviches tourneurs mais aussi l’orchestre de la SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg. En 2012, le festival a invité les plus grands orchestres d’Europe : London Symphony Orchestra, Tonhalle Orchester Zürich, Sächsische Staatskapelle Dresden pour jouer les symphonies de Bruckner et , en 2013, le festival a reçu notamment le Ballet Royal du Cambodge, l’orchestre symphonique kimbanguiste et l’orchestre du Théatre Mariinsky dirigé par Valery Gergiev. En 2014, le festival a fêté ses trente ans d’aventures culturelles, trente éditions du Printemps des Arts sauf une : l’an 2005 où le festival fut arrêté pour le décès du Prince Rainier III. Le Printemps, la Principauté, le monde pleurèrent leur « Prince bâtisseur ».
S.A.S. le Prince Albert II de Monaco et S.A.R. la Princesse Caroline de Hanovre continuent à défendre la vitalité culturelle de la Principauté.