Le surréalisme a ceci de commun avec le baroque qu’il désigne tout à la fois une période historique et un état d’esprit. Historiquement, le baroque est né à la fin du XVIe siècle en Italie et le surréalisme dans les années 1920 à Paris ; dans l’esprit, le baroque désigne ce qui est bizarre, extravagant et irrégulier, le surréalisme ce qui est délirant, imprévisible et défiant toute logique raisonnable.
Le projet de notre ciné-concert est de présenter non seulement des films directement issus de la période historique du surréalisme, mais encore des œuvres soit antérieures soit postérieures à cette période, mais dont l’esprit nous semblait indubitablement surréaliste. Notre programmation s’étend ainsi de 1906 à 2023.
Mais qu’est-ce donc que le surréalisme ? Dans le langage commun, qualifier une situation de surréaliste n’est pas toujours gage de compliment. C’est souvent qu’on juge l’affaire incompréhensible et absurde, voire moralement scandaleuse ou franchement inepte. Et le verdict de tomber : « Ça dépasse l’entendement ! ». Alors oui : « ce qui dépasse l’entendement » pourrait être une première entrée vers l’esprit surréaliste. Mais ce n’est pas suffisant, bien sûr. Le surréalisme, c’est aussi le rêve au pouvoir, l’absence de contrôle de la raison, la dictée de la pensée libérée des préoccupations morales ou esthétiques… Le surréalisme est infini à cerner.
Aussi adressons-nous à Dieu plutôt qu’à ses saints et laissons la parole à André Breton. Le premier film de notre programme étant L’Alchimiste Parafaragamus de Georges Méliès, écoutons Breton sur le sujet : « Les recherches surréalistes présentent avec les recherches alchimiques une remarquable analogie de but : la pierre philosophale n’est rien d’autre que ce qui devrait permettre à l’imagination de l’homme de prendre sur toutes choses une revanche éclatante. » Le surréalisme serait-il donc la revanche éclatante de l’imagination sur toutes choses ?
On le voit, l’esprit du surréalisme est fuyant, il est autant une action qu’une réaction, autant une construction qu’une destruction et il n’est certainement pas aussi illogique qu’on veut bien nous le faire croire. Mais une chose lui est indéfectiblement nécessaire : une souveraine liberté, si possible doublée d’une bonne dose de subversion. Outre cette liberté non négociable, nous avons privilégié deux axes majeurs comme critères de sélection des films constituant notre programme : une narration non linéaire (voire une absence totale de narration) et un rapport au temps qui défie les lois du bon sens. C’est pourquoi aucun des films que nous présentons ne sera résumable en quelques phrases. Car ce sont moins des histoires à suivre que des expériences physiques ou spirituelles à vivre.
Notre programme alterne œuvres européennes et nord-américaines. En effet le surréalisme, s’il est né à Paris, s’est exporté très vite aux États-Unis. Dès 1939, André Breton, Max Ernst et Man Ray (Américain d’origine) embarquaient à Marseille pour New York, y bouleversant la scène artistique américaine. Mais en vérité, un courant surréaliste était présent dans l’art américain dès 1930, avec notamment la figure majeure de Joseph Cornell ou celle plus insaisissable de Mary Ellen Bute. Nous présentons lors de ce ciné-concert des films de ces deux artistes, ainsi que de l’incontournable Man Ray, sans oublier le Canadien Norman McLaren, pionnier du cinéma d’animation.
Nous faisons également une place au surréalisme belge, dont l’importance n’est plus à démontrer, avec une œuvre qui nous tient particulièrement à cœur : M. Fantômas d’Ernst Moerman, merveille d’insolence et d’inventivité, baignant dans un amateurisme solaire.
Les œuvres les plus récentes de notre programme montreront que l’esprit du surréalisme est toujours vivace, avec des films plus ou moins underground tels que l’hypnotique Necrology de Standish D. Lawder ou le glaçant Tx-transform de l’Autrichien Virgil Widrich, virtuose de la mise en abyme, ou encore une minute de mystère absolu signée du célèbre David Lynch – plus quelques surprises en première création.
Tout cela prouve que l’aventure surréaliste, « attitude inexorable de sédition et de défi » (André Breton) au but déclaré de « changer le monde » (Arthur Rimbaud) n’est jamais terminée ! Musicalement notre quatuor s’inscrit volontiers dans cet esprit de liberté joyeuse, s’aventurant sur d’étroits chemins de crête, entre musiques contemporaines écrites et improvisations génératives, entre instruments traditionnels et lutherie sauvage. L’énumération de notre instrumentarium, foutraque inventaire à la Prévert, suffira à s’en convaincre : une clarinette basse, une guitare électrique, un duduk, un thérémine, un hautbois électronique, des saladiers, un cochon rose et on ne vous dit pas tout…
François Salès